
Entretien avec Francis Graille : “La mairie de Paris prend le PSG pour une vache à lait !” (Partie 1)
Président du club parisien entre avril 2003 et mai 2005, Francis Graille a accepté d’évoquer pour nous le PSG d’aujourd’hui, sous QSI, mais aussi d’hier, lorsqu’il formait un binôme avec son ami Vahid Halilhodžić. Voici la première partie de cet entretien.

Dix-huit ans après votre départ de la présidence du club, quel lien gardez-vous avec le PSG ?
Je continue à regarder de manière assidue les matches et à suivre l’actualité du PSG. J’ai de bons rapports avec les dirigeants actuels et notamment avec Nasser. C’est toujours un plaisir de me rendre au Parc des Princes. J’ai cette capacité à oublier les mauvais souvenirs, et il y en a eu, pour ne garder que les meilleurs, qui heureusement ont été plus nombreux. Je suis resté en contact avec un certain nombre de joueurs avec lesquels j’échange relativement souvent. Pour moi, le PSG reste un très bon moment dans ma carrière footballistique.
Quel regard portez-vous sur le PSG d’aujourd’hui ?
Je constate que le Paris Saint-Germain reste le Paris Saint-Germain… Que ce soit avec peu d’argent, comme à mon époque, ou avec beaucoup d’argent, comme aujourd’hui, cela reste un club sujet à des tourments. Le PSG a toujours été au centre de toutes les attentions avec des médias concentrés sur Paris. Donc il est essentiel de se rendre au Parc des Princes ou au Camp des Loges pour savoir ce qu’il s’y passe. Et forcément quand le PSG connaît quelques remous et bien on en parle davantage.
N’est-on pas en droit d’attendre beaucoup plus d’un club avec autant de moyens ?
Quand un club génère beaucoup d’attentes, il génère souvent beaucoup de déceptions… Après il faut voir ce qui se passe ailleurs en Europe dans des projets assez similaires. Regardez Manchester City, ils ont mis combien d’années pour atteindre la finale de la Ligue des Champions ? Ils ont mis beaucoup de temps… Comme Paris, ils ne l’ont à ce jour toujours pas gagné, malgré des moyens quasi illimités, renforcés par les droits TV énormes de la Premier League. Je trouve qu’on a été plus conciliant avec City qu’avec le PSG, alors que les deux courent après le même objectif ; avec un avantage majeur pour le club anglais : une vraie continuité dans le projet sportif (Pep Guardiola termine sa 7e saison). En recrutant ce qui se faisait de mieux en Europe, au moins sur le papier, les attentes ont été encore plus élevées du côté de Paris. C’est compliqué, l’argent ne fait pas tout. Il faut essayer de recréer cette identité club qui existait avant et qu’on a perdu un peu. Cette identité parisienne. C’est sans doute beaucoup plus compliqué de réussir à Paris qu’ailleurs.
Que vous inspire la récente fronde des ultras ? Ont-ils toujours le même poids qu’à votre époque ?
Au moment où j’ai quitté le club, je pressentais déjà qu’il y aurait un jour des dégâts irréversibles en tribune. C’est un sujet très délicat. A mon époque, les conflits étaient différents avec des affrontements entre groupes de supporters. Aujourd’hui, il y a un regroupement des ultras qui font face de manière organisée à la direction du club. Je trouve qu’ils ont encore beaucoup de poids. La direction du PSG les écoute, les reçoit et négocie avec eux. Le simple fait de négocier montre leur importance.
Après il y a des actions que je ne peux pas justifier. Ce qui est fait à l’endroit de Messi… Ok, il n’est plus à son apogée, mais cela reste Messi. Et il a toujours marché sur le terrain. Donc j’ai un peu de mal à comprendre. Ce qui a été fait au domicile de Neymar est inacceptable. Je trouve que les supporters sont écoutés. Ils ont peut-être atteint leur seuil de tolérance vis à vis de la direction. Mais l’inverse est beaucoup moins vrai. Les discussions autour du retour de maillot Hechter le prouvent, des efforts sont faits pour répondre aux attentes des supporters. Si les résultats étaient meilleurs, je pense que les choses iraient beaucoup mieux entre les deux parties. Il est normal que la direction se montre inflexible devant certains comportements. Un supporter doit être derrière l’équipe et les joueurs. Messi ne mérite peut-être pas les sifflets qui l’ont accompagné par moments. Son arrivée a sans doute suscité beaucoup d’espoirs qui ne se sont pas traduits dans les faits. Mais je trouve ça un peu dommage.
Comprenez-vous que beaucoup de supporters ne se reconnaissent plus dans leur équipe ?
L’appartenance à un club, à une équipe est fondamentale. Il y a certainement quelque chose à construire autour de Kylian Mbappé, même si l’incertitude sur son avenir à long terme pourrait poser problème. Rappelons-nous qu’à une époque, pour donner une identité forte à son équipe, Paul Le Guen avait décidé de nommer capitaine un gamin de 17 ans, Mamadou Sakho (le 20 octobre 2007 à Valenciennes). Il cherchait quelqu’un qui représentait vraiment le PSG. Bon, on parle de temps très difficiles… Mais l’identité d’un club à travers des joueurs est très importante. Je pensais qu’un joueur comme Sergio Ramos, avec toute son expérience, pourrait faire autorité dans le vestiaire pour imposer une exigence au quotidien. Comme l’avait très bien fait un Zlatan. Mais on voit combien c’est difficile, car ça n’a pas vraiment été le cas. Peut-être que Kylian y arrivera et s’imposera dans ce rôle de fédérateur pour montrer que le PSG n’est pas qu’une équipe de stars, mais un vrai collectif où tout le monde ne joue pas pour sa pomme mais pour l’équipe et le club. Et ce n’est pas qu’une histoire de joueurs. C’est très compliqué à gérer… D’autant plus à Paris. C’est pour ça que j’ai toujours beaucoup d’estime pour la direction du club. Ils ont commis des erreurs, mais tout le monde en commet. Le contexte parisien ne facilite pas les choses, bien au contraire. J’espère qu’ils finiront par y arriver, même si cela prend du temps. Il ne faudrait surtout pas que QSI s’en aille, car les conséquences pourraient être terribles.
On parle souvent d’un institution qui ne serait pas assez forte au PSG face à ses superstars. Êtes-vous d’accord ?
L’institution est un concept un peu abstrait. Souvent on en parle sans trop savoir ce que sait. L’institution en vérité c’est le club lui-même et ce qu’il représente. Un club, au-delà de son propriétaire, appartient à une communauté. Pour le PSG, il s’agit de tous les supporters dans l’environnement parisien, mais aussi de tous les fans à travers le monde. L’institution appartient à tous ceux qui soutiennent le club. Dans les faits, cela se traduit par une direction en place pour défendre les intérêts du propriétaire, mais aussi garder la force de cette institution, les valeurs qu’elle représente. L’institution est souvent défendue par les joueurs issus du centre de formation, garants de cette identité club. Il y aussi des gens venant de l’extérieur qui peuvent représenter l’institution en reprenant les valeurs du club… Les couleurs ou le maillot font partie de l’institution. Il faut savoir bien les marier ensemble tout en respectant l’économie du club, et sa capacité à vendre chaque année un certain nombre de maillots. Il y a aussi tout ce qui tourne autour de l’intégrité, de l’exemplarité au quotidien.
Il est particulièrement difficile d’avoir des discussions entre dirigeants et supporters, car bien souvent ils n’ont pas la même définition de ce qu’est l’institution. Pour les uns, c’est la société, pour d’autres c’est l’association. En fait, c’est une addition de tout ça. Pour la défendre, il faut à la fois des leaders chez les dirigeants, les supporters avec le Collectif Utras Paris, mais aussi les joueurs. Si certains sortent du cadre défini, ils faut avoir dans le vestiaire des personnes capables de rappeler ce qu’est l’institution pour les remettre dans le droit chemin. On dit souvent que l’équipe doit être plus forte que les individualités. Sauf qu’au PSG, il y a toujours eu d’énormes individualités. Que ce soit aujourd’hui avec Mbappé, Messi et Neymar où quand j’étais au club et qu’on n’avait pas pu conserver Ronaldinho. C’était quand même quelque chose d’avoir un joueur pareil, un des meilleurs au monde… Mais c’était avant tout un artiste et encore un gamin qui s’est montré par la suite plus mature au Barça.
Regrettez-vous l’effacement de certains symboles forts du club depuis l’arrivée de QSI ?
Dans tous les clubs, dans toutes les entreprises, les logos évoluent. Honnêtement, cela ne m’avait pas plus choqué que ça. Qu’ils veuillent donner au PSG une image plus parisienne qu’auparavant, cela peut se comprendre d’un point de vue développement marketing. Quand vous investissez autant dans un club, il est naturel de rechercher une certaine rentabilité et donc une plus grande visibilité. Mettre l’accent sur le mot “Paris” et moins sur “Saint-Germain” était plutôt logique de leur part. De ce fait, le berceau de la royauté a disparu sur le logo. Honnêtement, je ne suis pas puriste au point de dire qu’il aurait fallu garder à tout prix tous ces symboles. Je pense qu’il faut savoir évoluer avec son temps. Après, que les supporters, et en particulier les plus anciens, soient mécontents de ces changements, je le comprends aussi. Je me souviens combien les équipes de Nike avait des difficultés pour innover chaque année autour du maillot Hechter. Donc ce problème-là existe depuis toujours.
Le devenir du Parc des Princes est plus incertain que jamais. Que pensez-vous de ce dossier brûlant du stade ?
Une chose est sûre, quand le Parc est rempli de supporters qui poussent leur équipe du début à la fin, c’est fantastique. Malgré sa capacité de seulement 48 000 places, à l’échelle des grands clubs européens, l’ambiance peut être exceptionnelle. Ces derniers temps, j’ai beaucoup moins la possibilité de me rendre au stade, mais même devant ma tété, forcément, je regrette la ferveur d’antan. Je suis nostalgique de cela.
Aujourd’hui, je comprends tout à fait que le club ressente le besoin de se développer. Et on connaît toutes les difficultés liées à un potentiel agrandissement du Parc. Le stade n’appartient pas au PSG et cela rend les choses plus difficiles. Aucun club au monde ne peut supporter à la fois les charges du locataire et du propriétaire. Cela n’existe nulle part. Donc je ne pense pas que QSI ait vraiment envie de quitter le Parc. Ils veulent rester, mais la mairie ne leur ouvre pas la porte et ne se montre pas raisonnable, en les prenant pour une “vache à lait”. Avec les contraintes du fair-play financier, le PSG se retrouve dans l’obligation d’augmenter ses revenus et ne peut pas rester dans un statu quo. C’est la mairie qui a le sort de ce dossier entre ses mains. Elle se doit de faire des efforts pour trouver une issue favorable.
Maintenant, si on se retrouve dans une impasse telle que le club ne puisse pas avancer dans le dossier du Parc, QSI sera contraint et forcé de trouver une autre solution et éventuellement se tourner vers le Stade de France. Je me mets à la place de QSI, c’est compliqué. Quand on sait tout ce qu’ils ont déjà fait pour améliorer le Parc depuis toutes ces années, en investissant des sommes considérables, tout étant simplement locataire du stade…

Retrouvez la deuxième partie de cet entretien vendredi soir.
Propos recueillis par Numéro 10