Entretien avec Francis Graille : “La mairie de Paris prend le PSG pour une vache à lait !” (Partie 2)

Président du club parisien entre avril 2003 et mai 2005, Francis Graille a accepté d’évoquer pour nous le PSG d’aujourd’hui, sous QSI, mais aussi d’hier, lorsqu’il formait un binôme avec son ami Vahid Halilhodžić. Voici la deuxième partie de cet entretien.

Retrouvez la première partie de l’entretien

Avec le recul, quel bilan tirez-vous de vos deux années passées comme président du PSG ?

Il faut savoir qu’une mission m’avait été donnée à mon arrivée. On avait 70 millions d’euros de pertes par an et Canal+ ne voulait plus renflouer les caisses. En deux saisons, il fallait ramener le déficit à zéro, tout en ayant des résultats. La première année, on avait réussi a diminué le déficit de moitié et la deuxième année, quand je suis parti on était à zéro. Donc le boulot a été fait sur le plan comptable, mais aussi des résultats avec une Coupe de France remportée (1-0 face à Châteauroux) et ce retour en Ligue des Champions que le club attendait depuis un moment. En championnat, une saison 2e et une autre 9e, ce n’était pas honteux non plus.

Encore plus avec toutes ces polémiques autour de l’équipe et la perte de notre meilleur joueur qu’était Ronaldinho. Comme je vous l’ai dit, le PSG ce n’est vraiment pas un long fleuve tranquille. Il y avait à cette époque-là, surtout deux journaux importants qui suivaient le PSG : Le Parisien et L’Équipe qui appartenaient au même groupe Amaury. Les réseaux sociaux n’existaient pas. Et ils se tiraient la bourre constamment. Tous les matins, ils devaient proposer du contenu et une surenchère s’était donc installée entre les deux rédactions. Malgré tout cela, le PSG reste à mes yeux une expérience extraordinaire. Le PSG était pour moi une opportunité difficile à refuser. Je retiendrais les émotions et les victoires, notamment cette première saison quasi parfaite.

Cette fameuse saison 2003-2004 a été marquée par un état d’esprit remarquable de l’équipe, à l’image de vos deux Argentins…

Le dernier jour du mercato d’été, on recrute Juan Pablo Sorin (prêté par Cruzeiro le 31 juillet 2003, après une année au Barça) qui ne perdra jamais avec le PSG en 26 matches disputés. Il reste, je crois, le seul joueur de toute l’histoire du club à avoir réussi pareil exploit. Et l’erreur de Vahid, et mon erreur aussi de l’avoir suivi, c’est de ne pas l’avoir gardé alors qu’il voulait rester à tout prix la saison suivante. Vahid craignait les conséquences de la Copa America que Sorin devait disputer en tant que capitaine.

A mon arrivée, Gaby Heinze voulait partir à tout prix parce qu’il avait des offres alléchantes de la Juve et de Manchester United. Finalement, on a refusé une somme importante (autour de 10 millions d’euros) pour le garder une année de plus. Car on pensait qu’il était un élément essentiel pour le club notamment dans l’état d’esprit. Il défendait vraiment l’institution, il se donnait à fond. On pouvait compter sur lui. Il est resté au début avec beaucoup de réticence vis à vis de Vahid. J’ai respecté ma parole en le laissant partir un an plus tard dans les conditions prévues précédemment.

Quand vous perdez votre capitaine, Frédéric Déhu, pour des raisons que je ne vais pas évoquer ici – car lui serait resté – et vos deux Argentins, cela rend les choses difficiles la saison suivante, avec en plus la Ligue des Champions à jouer.

Lors de cette seconde année beaucoup plus compliquée, vous êtes amené à prendre une décision difficile : licencier en février 2005 votre ami et entraîneur en place Vahid Halilhodžić. Pouvez-vous nous raconter comment cela s’est passé ?

Concernant Vahid, j’ai eu surtout l’impression de prendre cette décision plus pour lui que pour le club. Il y a eu un moment durant cette période difficile où l’adversité qu’il rencontrait au niveau des supporters et au sein même du vestiaire, puisque certains joueurs l’avaient lâché, était terrible à vivre pour lui. Il avait l’impression d’être trahi par les siens, trahi par l’intérieur, et je ne vais pas vous dire que cela le rendait fou, ce serait peut-être un peu fort, mais cela le mettait dans une situation hyper délicate. Connaissant Vahid, il n’aurait jamais lâché, car cela ne lui ressemblait pas, donc on a allait droit dans le mur.

J’ai subi des pressions de tous les côtés. J’ai tenu le temps que j’ai jugé nécessaire pour que Vahid puisse récupérer son groupe. Mais il n’a pas réussi à le récupérer et on s’enfonçait dans une crise de plus en plus profonde. La taupe faisait son travail de sape vis à vis de la presse et tous les jours il y avait de nouveaux rebondissements. Que ce soit les dessins dans L’Équipe ou même aux Guignols de l’info, c’était partout en continu. Et à un moment donné, j’ai dû dire à Vahid : « On arrête, c’est déjà terrible pour toi et ça ne va faire qu’empirer. Aujourd’hui, tu n’es plus en capacité d’assumer toutes ces difficultés. »

Vahid a régulièrement connu des tensions avec ses joueurs, que ce soit en club ou en sélection, car c’est quelqu’un d’intègre. Lui ne défendait pas sa gueule, mais l’institution. Quand il s’est rendu compte que beaucoup de monde était contre lui, ça l’a mis dans un état de révolte. Et je pense qu’au fond de lui il a compris ma décision. Avec le recul, je pense avoir fait ce qu’il fallait à ce moment-là. Certains me diront que j’aurais pu le faire plus tôt, mais non… parce que moi j’avais confiance en Vahid. Simplement chaque matin, il lisait le journal et cela amplifiait encore la situation et le mettait dans un état de parano totale qui aurait pu avoir des conséquences sur sa santé. Se séparer d’un entraîneur découle de tout un ensemble de choses. Vous avez les paramètres techniques, les paramètres sportifs et bien sûr les paramètres humains, qui sont souvent les plus difficiles à gérer.

Quelles ont été vos relations par la suite ?

Nos relations ont été un peu compliquées les six premiers mois après son départ. Il était dans la haine par rapport à tout ce qui lui était arrivé. Au lieu de se présenter à son entretien préalable à son licenciement, il a décidé d’attaquer le club par l’intermédiaire d’un courrier rédigé par son avocat. C’était une erreur de sa part. Mais c’est la vie. Cela reste un formidable ami et un type vraiment bien. La suite de sa carrière a montré qu’il était de capable de faire de grandes choses avec les sélections qu’il a entraînées. Il a la particularité d’être le seul sélectionneur à avoir qualifié quatre nations différentes pour la Coupe du Monde (Côte d’Ivoire, Algérie, Japon, Maroc). Ce n’est pas rien. Et le Mondial 2014 qu’il a disputé avec l’Algérie s’est soldé par une défaite héroïque en prolongation face à l’Allemagne, futur vainqueur de la compétition, en huitième de finale. Son parcours en sélection est vraiment fantastique. Et il n’a pas toujours était aidé par ses joueurs, car il leur demandait tellement que certains se sont opposés à lui.

Comment avez-vous vécu l’épisode de la taupe de l’intérieur ? Et avez-vous fini par pardonner à l’intéressé qui pourrait être Jérôme Rothen ?

A l’époque, honnêtement, c’était très difficile de percer ce mystère qui obsédait Vahid jour et nuit. Les joueurs étaient assez solidaires entre eux, ils ne voulaient pas lâcher un de leurs potes. Depuis, tout le monde sait qui sait, je ne vais pas m’éterniser dessus, car cette personne n’en vaut pas la peine. En tout cas, il a vraiment sabré cette période-là. Il est comme il est. Je n’ai pas envie de rentrer dans une polémique là-dessus. En plus, c’est moi qui l’avait fait venir de Monaco (Le PSG avait payé 10 millions d’euros pour son transfert). J’ai beaucoup échangé avec lui avant sa signature officielle, pendant qu’il disputait l’Euro 2004 avec les Bleus au Portugal. Je l’avais tous les soirs au téléphone et on voulait créer un vrai collectif à Paris. Lors de cette saison-là, il m’a toujours répété que le groupe était moins fort que l’année d’avant. Peut-être avait-il raison, mais on avait fait avec les moyens du moment. Et un joueur ne peut pas pointer du doigt comme ça un groupe dont il fait lui-même partie. L’idée d’associer Rothen à Pauleta était séduisante sur le papier, mais ça n’a pas marché, c’est comme ça… C’est un vrai Titi parisien, je le crois sincère quand il parle de son attachement au PSG. On va dire que c’était une erreur de jeunesse…

Le feuilleton du transfert de Ronaldinho vers le Barça à l’été 2003 a fait beaucoup parler à l’époque et par la suite, en raison d’une certaine opacité entourant cette opération. Pouvez-vous nous en dire plus aujourd’hui ?

Vingt ans après, on peut en parler librement, mais mine de rien, ce sont des moments qui comptent dans une carrière de dirigeant. Les choses n’étaient pas opaques pour Ronnie. On avait la main sur sa vente, mais on ne pouvait pas le garder. Vahid voulait croire que c’était possible, mais cela ne l’était pas. Il existait une convention tout à fait légale concernant l’argent avancé pour permettre sa venue (14 millions d’euros), puisque que le club n’avait pas les moyens de payer les sommes liées à son transfert au PSG. Tout cela a été regardé un long et en large par la justice qui n’a rien trouvé à redire.

Nous avions la liberté de choisir le club acheteur. Mais les propriétaires des droits du joueur ont d’abord négocié avec Manchester United, qui a longtemps cru qu’il allait pouvoir emporter la mise. Mais compte tenu du prix proposé, qui correspondait au montant que nous avions à payer pour récupérer les droits du joueur (19 millions d’euros), le PSG n’aurait pas touché un centime sur le transfert. Bien entendu, cela ne nous convenait pas. Finalement, on a eu l’immense chance que le Barça rentre dans la danse et fasse monter les enchères. Au final, on a vendu Ronaldinho environ 28 millions d’euros, auxquels se sont ajoutés 3 millions de bonus obtenus pour la victoire de Barcelone en Ligue des Champions lors de la saison 2014-2015. Une sacrée somme pour l’époque.

On connait l’histoire d’amour qui liait Ronaldinho aux supporters parisiens ? De son côté, a-t-il à un moment donné envisagé d’effectuer une troisième saison à Paris ?

Ce n’est pas faire offense à Ronaldinho de révéler que les discussions n’étaient pas menées par lui. Il avait bien entendu son frère et agent, Roberto Assis, qui faisait tout son possible pour que sa volonté soit respectée. Mais je ne pense pas que Ronnie a envisagé un instant de rester à Paris. Je me souviens d’un repas avec les deux, où on a beaucoup discuté, et j’ai bien compris que jamais de la vie il ne poursuivrait son aventure chez nous. Ce n’était simplement pas possible. Comme il ne lui restait qu’un an de contrat, les gens qui détenaient ses droits ont décidé qu’il devait partir, sinon il se serait retrouvé libre l’année d’après.

Comment les choses se sont-elles finalement décantées en faveur de Barcelone ?

Si j’ai été amené à négocier avec Sandro Rosell (alors numéro deux derrière le président Joan Laporta au FC Barcelone), c’est grâce à un ami qui avait des responsabilités dans le monde de la moto, Manel Araujo, qui s’occupait aussi en parallèle du marketing et des droits du Barça. Il travaillait pour eux simplement en tant que socios, il n’était pas salarié. Un jour, il m’a appelé en me demandant s’il y avait moyen de faire venir Ronnie. Je lui ai alors indiqué le montant à atteindre pour que l’opération puisse se faire. Ensuite, j’ai demandé à Roberto Assis d’aller discuter avec les dirigeants catalans, et il les a vu dans l’après-midi. Et entre nous, je croyais beaucoup plus à Ronnie à Barcelone qu’à Manchester. Vivre à Paris était déjà extraordinaire pour lui, mais ce que pouvait représenter la ville de Barcelone était encore un cran au-dessus pour un Carioca comme lui. Le mariage était juste parfait.

Propos recueillis par Numéro 10

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