Claude Le Roy : “Galtier aurait pu trancher entre Neymar et Messi”

Surnommé “le sorcier blond”, Claude Le Roy s’est avant tout fait connaître par sa riche carrière de sélectionneur en Afrique, un continent avec lequel il a tissé des liens très forts, en dirigeant pas moins de six pays différents (Cameroun, Sénégal, République Démocratique du Congo, Ghana, Congo, Togo). Son principal fait d’armes reste la CAN remportée avec le Cameroun de Roger Milla en 1988. Directeur sportif du PSG entre 1997 et 1998, à la toute fin de l’ère Canal+, il est revenu pour nous sur la saison du club parisien.

Avec une nouvelle élimination précoce en Ligue des Champions et une crise de résultats inédite depuis janvier, le projet de QSI est-il dans l’impasse ?

“Dans un club, on ne repart jamais de zéro, les choses avancent toujours même quand les résultats peuvent être contraires. Le Paris Saint-Germain est quand même en tête de son championnat et la Ligue des Champions ne sourit qu’à un club chaque saison. Prenez Manchester City. En ayant investi beaucoup plus d’argent, ils continuent à courir après ce trophée depuis de nombreuses années. Là ou le bas blesse, me semble-t-il, c’est sur le recrutement opéré l’été dernier. Ramener des Soler, Ruiz, Vitinha, Ekitike… ce n’est pas ce que j’aurais fait. Même s’il faut bien avoir à l’esprit que quand un club réalise un mercato, il est toujours persuadé d’avoir fait le bon recrutement.

Quels joueurs auriez-vous ciblés l’été dernier ?

Il y a trois noms que je n’ai cessé de répéter l’an passé : Dayot Upamecano au Bayern, Seko Fofana à Lens et Randal Kolo Muani à Nantes. Ces joueurs-là auraient pu combler les manques de l’équipe parisienne. J’ai beaucoup de regrets pour Kolo Muani, qui pouvait signer libre (à partir du 1er janvier 2022) et dont personne ne parlait à l’époque. Je trouvais qu’il avait des qualités exceptionnelles et le potentiel nécessaire pour évoluer au PSG. Fofana aurait pu, lui, apporter son formidable état d’esprit. Avec un tel don de soi, une telle puissance, une telle capacité à répéter les efforts, c’est typiquement ce genre de joueur dont le Paris Saint-Germain aurait eu besoin au milieu de terrain.

Comment rectifier le tir pour la saison prochaine ?

Il va falloir que la direction sportive réfléchisse à construire une équipe de guerriers, conquérante, avec des joueurs qui vont vite et un gros potentiel athlétique. C’est tout ce qui manque à ce PSG. Au milieu, il n’y a pas de joueurs capables de multiplier les courses à haute intensité. Il manque quelqu’un pour transpercer les lignes balle au pied. Hormis Seko Fofana, qui est extraordinaire dans ce domaine, un Khephren Thuram pourrait par exemple évoluer dans ce registre. Le milieu parisien dans son ensemble est décevant. J’ai regardé le match de Verratti contre l’Angleterre. Il a encore perdu des ballons importants et s’est retrouvé impliqué sur des situations de jeu ambigües.

Plus globalement, je crois que cette équipe a besoin d’être régénérée, d’être rajeunie. En gardant les joueurs issus de la formation parisienne et ceux qui ont déjà une expérience internationale et qui donnent satisfaction. Actuellement, il y a trop de joueurs qui ne sont plus au niveau auquel ils étaient au pic de leur carrière.

A qui faites-vous référence ?

Je pense directement à Sergio Ramos, Messi et Neymar. On parle de joueurs exceptionnels. Sur le papier, vous avez les meilleurs du monde. Le meilleur défenseur central, un des meilleurs joueurs de l’histoire et un Neymar qui aurait certainement pu grappiller un ou deux Ballon d’Or s’il n’avait pas évolué à la même époque que Cristiano Ronaldo et Messi. Mais sous le maillot parisien, ils n’ont jamais été au sommet leur forme. La qualité est toujours là, mais le rendement n’est plus le même. Au final, leur recrutement, comme celui des joueurs de complément cette saison, ne répond pas aux attentes. Quand il est arrivé du Barça, Neymar était un phénomène, mais toutes ses blessures successives sont quand même un indicateur qui ne pardonne pas.

La saison dernière, on nous disait que Sergio Ramos ne jouerait plus jamais au football. Ce qui n’a pas été le cas. Ils ont quand même réussi à le réathlétiser pour le remettre en scelle. Personnellement, je l’ai découvert à Séville quand il jouait arrière droit, à une époque ou j’allais observer son coéquipier de la République Démocratique du Congo, Ariza Makukula. J’avais été ébloui par ses qualités athlétiques, par sa vitesse et son explosivité. Aujourd’hui, il n’a plus rien de tout ça. Il s’en sort sur son métier et son intelligence, mais on est très loin du compte. Quand il est pris dans le dos, dans la profondeur, il se retrouve en grande difficulté.

Un entraîneur ne doit pas avoir peur d’être mis dans l’avion pour rentrer à la maison parce qu’il prend telle ou telle décision

Cela suffit-il à expliquer les errances de la défense parisienne ?

Non. Un garçon comme Donnarumma, que l’on présentait comme le futur meilleur gardien au monde, n’a pas encore confirmé tous les espoirs placés en lui. On connait ses qualités sur sa ligne, mais il a toujours trop de déchet dans son jeu au pied et ses sorties. On ne peut pas dire qu’il sécurise l’édifice défensif. Ensuite, vous avez un Marquinhos plus fébrile, qui peine à évoluer à son meilleur niveau aux cotés d’un Ramos qui ne retrouvera jamais le sien. La seule satisfaction derrière c’est Nuno Mendes.

Christophe Galtier se retrouve plus fragilisé que jamais. Est-il pour vous toujours l’homme de la situation ?

Vous ne m’entendrez jamais demander le départ de qui que ce soit. Ce serait tellement malvenu. Je pense que c’est très compliqué d’entraîner au Paris Saint-Germain. Il suffit de voir ce qu’ont réussi Ancelotti et Tuchel après leur départ. Ils n’étaient pas devenus d’un seul coup moyens à Paris. On parle d’entraîneurs exceptionnels qui ont dû composer avec un contexte particulier. Un contexte compliqué qui a toujours existé, contrairement à ce que les gens pourraient penser.

Ce n’est pas nouveau, le PSG est un club disséqué du matin au soir qui génère pas mal de critiques et de crispations, avec des attitudes parfois belliqueuses. Le moindre petit pas de travers créé une certaine cacophonie autour du club. On a l’impression qu’on juge l’orchestre national. A la moindre fausse note, on est toujours dans l’exagération. Il y a aussi beaucoup de jalousie autour du projet actuel. On le résume trop souvent à beaucoup d’argent. Il suffisait d’écouter les commentaires hautains de certains avant la dernière Coupe du Monde au sujet du Qatar. Tout cela rend la tâche de Christophe particulièrement difficile.

Si vous aviez un reproche à lui faire. Quel serait-il ?

Aujourd’hui, il peut éventuellement se reprocher de ne pas avoir fait un choix parmi les trois stars de devant. Pour accompagner Kylian, peut-être qu’il aurait fallu trancher entre Neymar et Messi pour un meilleur équilibre d’équipe, notamment à la perte du ballon. Un entraîneur ne doit pas avoir peur d’être mis dans l’avion pour rentrer à la maison parce qu’il prend telle ou telle décision. C’est le propre de ce métier de faire des choix et parfois ils peuvent être très douloureux.

Construire l’avenir autour de Kylian Mbappé, est-ce une obligation pour le PSG ?

Bien sûr. Je crois qu’il n’y a aucune discussion possible. En France, on a du mal avec le talent, avec les gens brillants. On préfère souvent Poulidor à Anquetil. Les besogneux aux virtuoses. Kylian a toutes les qualités physiques, techniques, tactiques et intellectuelles pour être le porte-drapeau du Paris Saint-Germain. Le symbole. La référence. Il est déjà un des trois meilleurs joueurs au monde et lui reste une marge de progression. Il va devoir faire certains efforts. D’abord ne pas être totalement dédouané des tâches défensives. Sur le jeu tête, ensuite, il va tellement vite qu’il devrait mettre davantage à profit sa détente. En tout cas, il a vraiment tout pour emmener le Paris Saint-Germain très haut.

Doit-on désormais lui laisser le brassard ?

Ceux qui ont des certitudes là-dessus n’ont jamais connu la vie d’un club professionnel. Il faut être à l’intérieur pour savoir. Kylian a profité de l’absence de Marquinhos pour porter le brassard. Et je n’ai pas de doute sur le fait que le Brésilien le retrouvera dès qu’il sera à nouveau opérationnel. Après, concernant la saison prochaine, Marquinhos ne sera pas forcément éternel au PSG.

Qu’avez-vous pensé de ses deux matches en tant que nouveau capitaine des Bleus ?

Être intelligent, c’est montrer au quotidien sa faculté d’adaptation. Kylian est comme ça, donc je ne me fais aucun souci pour lui à l’avenir. Il aura juste à apprendre dans les fins de match à faire abstraction de sa propre performance, surtout si elle est moyenne. Car seule l’équipe compte !”

Propos recueillis par Numéro 10

Pourquoi “le sorcier blond” ?

En 2013, Claude Le Roy a raconté dans le journal L’Equipe pourquoi on lui avait attribué ce surnom.

💬 Dès ma première conférence de presse au Cameroun, on m’interroge : “Comment allez-vous régler le problème des féticheurs ?” J’explique que s’il y a des personnes aussi fortes, qu’elles prennent l’équipe en main. Et j’ajoute : “Le premier vrai sorcier dans l’histoire de l’humanité est Merlin l’enchanteur, dans la forêt de Brocéliande. Il est breton comme moi. Vous vous imaginez bien que je ne peux pas avoir peur d’un sorcier ou d’un marabout.” À partir de là, on m’a appelé le “sorcier blanc” puis le “sorcier blond”.

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